COMITE DE VIGILANCE : Corps communautaire de sécurité en mal de reconnaissance juridique
À partir de 2014, le groupe Boko Haram est passé à une phase plus offensive. Il a perpétré des attaques armées et des actes de terrorisme au Nigéria, Au Niger, Au Tchad et au Cameroun. En ce qui concerne particulièrement le cas du Cameroun, les exactions de Boko Haram ont évolué, en commençant par de légères démonstrations de forces (vol de bétail, destruction de récoltes) puis des affrontements avec l’armée et enfin des attentats suicide.
La mutation permanente de la forme de la menace combinée à la longueur et la porosité des frontières a constitué un inconvénient important pour l’armée régulière dans la lutte contre cette nébuleuse. Les populations, las de subir passivement ces incursions au cours desquelles elles perdaient, maison, bétail, argent, motos, récoltes, sans compter les pertes en vie humaines, ont décidé de s’organiser en comités de vigilance pour protéger leurs localités.
Ils se comptent par milliers, des jeunes gens à s’être regroupés en comité de vigilance à travers les villages de la Région de l’Extrême-Nord du Cameroun. Sans protection et sans moyens de défense proportionnels, ils se retrouvent en première ligne face aux Kamikazes de Boko Haram. Armés simplement d’arcs et de flèches empoisonnées, les membres des comités de vigilance capturent des présumés Djihadistes. Face à la puissance de feu des terroristes de Boko Haram, leur unique avantage est la parfaite connaissance du terrain, de l’histoire, des langues et des cultures locales qui leur permet d’engranger des résultats significatifs.
Dessin illustrant les membres du Comité de vigilance en concertation
Ils identifient et interceptent des kamikazes et livrent de précieux renseignements aux responsables du Bataillon d’Intervention Rapide (BIR). En échange, ils reçoivent de l’État du Cameroun des médailles, des vivres, du crédit de communication ainsi que d’autres marques de bienveillance. Cependant, les dénonciations calomnieuses de certains, les extorsions auxquelles se sont livrés quelques-uns et les soupçons de collusion des autres avec la milice islamiste, ont quelque peu entaché l’image de ce corps communautaire de sécurité qui se trouve désormais dans une posture ambivalente.
Citoyens héroïques ou petits chômeurs en situation de chefs de guerre
Une analyse sociologique de la constitution des comités de vigilance permet de constater que leurs membres sont majoritairement des jeunes, jadis désœuvrés pour la plus part. Leur engagement dans le combat contre la secte islamiste et leur courage, ont fait d’eux des héros, des petits chefs de guerre.
La motivation première de ces populations engagées dans des comités de vigilance est certes d’abord le souci de sécuriser leurs localités et leurs biens des actes barbares des djihadistes de Boko Haram. Cependant certaines personnes voient en leur engagement dans ces comités une occasion de se faire de l’argent, ou d’obtenir une position de pouvoir et de domination. C’est ainsi qu’on déplore plusieurs pratiques ayant cours dans les localités frontalières avec le Nigéria où des comités de vigilance sont installés. Rançonnement, chantage, règlement de compte, banditisme, sont autant de méfaits à mettre à l’actif de certains membres des comités de vigilance. Les populations sensées être protégées se retrouvent alors en proie au feu des combattants de Boko Haram et aux foudres des membres des comités de vigilance, ceci à cause de leur défaut de normalisation.
Vide juridique déconcertant ou sous-traitance sécuritaire
Toutes les dérives observées dans certains comités de vigilance trouvent leur ancrage dans le manque d’encadrement de cet outil de sécurité communautaire. En effet, il n’existe actuellement aucun instrument juridique qui réglemente et régule le fonctionnement de cette institution, pourtant si importante dans notre contexte, où l’Etat ne peut pas tout seul assurer la sécurité des populations et de ses frontières. Le seul encadrement dont ils sont assujettis parfois, c’est le droit de regard qu’ont les autorités administratives locales sur leurs activités ou leurs plans d’action. Mais l’enrôlement au sein de ces comités, le statut, les avantages, et même la dotation en matériel de défense ne sont pas réglementés. Dans des zones déjà doublement fragilisées par la guerre et la misère, on ne peut que voir en ce défaut d’encadrement juridique une menace sérieuse pour les populations aussi bien actuellement que sur le long terme.
D’après International Crisis Group, « Les comités de vigilance participent au renforcement de la sécurité locale. Mais pour les Etats africains fragiles, sous-traiter la gestion de la sécurité aux comités de vigilance pour lutter contre l'insurrection peut s'avérer dangereux. Lorsqu'ils font appel à des comités de vigilance, les dirigeants africains devraient établir des objectifs et des mandats clairs et investir dans des programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration ». En d’autres termes, l’Etat du Cameroun devrait conduire une politique prospective de gestion des membres des comités de vigilance. Pour cela, des exemples d’ailleurs pourraient s’avérer inspirants.
Cet encadrement juridique étant inexistant, les victimes d’hier, devenus justiciers, n’hésitent pas parfois, à rendre des justices expéditives, sous le feu de l’action. Raison pour laquelle il faut en amont mettre en place des mécanismes adéquats de suivi et en aval envisager des mesures d’accompagnement des membres des comités de vigilance à la fin des hostilités.
Esquisses de propositions
Il y a des façons plus ou moins bonnes d’utiliser les comités de vigilance et de veiller à ce qu’un outil efficace à court terme ne devienne pas un long cauchemar.
Une mesure palliative pour éviter que les comités de surveillance ne s’éloignent trop dangereusement de leur rôle initial, consisterait pour le gouvernement à encourager les dirigeants locaux ayant une influence sur les membres des comités naissants, y compris les autorités traditionnelles, religieuses et les élites, à établir des objectifs ciblés, acceptables pour tous, dans le cadre d’une stratégie nationale globale de lutte contre Boko Haram et les autres formes de menace sécuritaire. Cela devra s’accompagner d’une supervision politique active sur les membres.
Il faut aussi établir de façon claire et précise le rôle des membres des comités de vigilance, leurs mécanismes de collaboration avec l’armée, ainsi que les récompenses auxquelles ils peuvent prétendre pour leurs efforts. Il faudrait aussi prévoir, dans la mesure du possible, un encadrement militaire et une justice équitable. Cela permettra de s’assurer que les membres des comités de vigilance ayant commis des abus rendent des comptes.
Enfin, il faudra fournir aux membres des comités de vigilance un soutien politique et matériel adéquat, y compris des armes lorsque cela s’avère nécessaire, afin de leur permettre d’atteindre leurs objectifs, réduisant ainsi le risque de marchandage, d’extorsion de ressources auprès des civils et de trafic de toutes sortes.
Réinsertion comme moyen de contournement
Une fois l’intensité du conflit retombée, les alliés du BIR pourraient devenir des ennemis publics. Le gouvernement, s’il ne prévoit pas la façon dont il va gérer les comités de vigilance une fois le conflit terminé, risque d’être confronté à un autre risque : les comités de vigilance et leur communautés pourraient se sentir abandonnés après avoir été exploités. Cela risquerait d’isoler les jeunes, susceptibles d’être recrutés par des groupes antiétatiques, criminels ou radicaux ou encore les pousser à se tourner définitivement vers le grand banditisme et les trafics de toutes sortes.
Contrairement à d’autres pays d’Afrique où le véritable problème à la fin des conflits a été le désarmement des membres des groupes d’auto-défense, la fin de la menace Boko Haram au Cameroun posera comme problème majeur le chômage des jeunes enrôlés dans les comités de vigilance. Le gouvernement devra donc dès maintenant mettre sur pied un programme d’accompagnement à la réinsertion sociale de ces populations.
Certains jeunes en raison de leurs aptitudes, pourraient être intégrés dans l’Armée, d’autres pourraient être directement recrutés au niveau local par les exécutifs communaux. D’autres encore pourraient bénéficier des formations professionnelles dans les secteurs porteurs tels que l’agriculture, l’élevage, le commerce et être dotés d’appui financier pour pouvoir démarrer une activité et donner un nouveau sens à leur vie.
Les autorités nigérianes confrontées à cette même difficulté depuis plus de deux ans ont implémenté quelques solutions qui pourraient servir d’exemple au gouvernement camerounais. En 2016, 250 membres de la Force civile mixte (CJTF) constituée pour aider dans la lutte contre Boko Haram, ont été recrutés dans l’Armée nigériane. Plusieurs milliers d’autres ont bénéficié des formations professionnelles pour faciliter leur accès à l’emploi. De telles solutions pourraient certainement permettre de réduire à long terme les conséquences du conflit avec Boko Haram sur les populations dans la partie septentrionale du pays.