LES CONFIDENCES DE VICHE YATAHAD, MAIRE DE MOZOGO
« Certains ex-combattants de Boko Haram se considèrent comme des ex-otages »
En marge des travaux portant sur l’implantation de l’Observatoire Régional pour la Paix et la Tolérance (ORPT), Monsieur Viché YATAHAD, Maire de la Commune de MOZOGO a accepté de se soumettre à l’exercice de questions-réponses de notre reporter. Il présente ici les contours de la situation de sa zone communale exposée aux problèmes d’insécurité et du flux migratoire important des populations.
Viche YATAHAD, Maire de Mozogo
Magazine Fadjiri : Monsieur le Maire, comment accueillez-vous l'idée d'un observatoire pour la paix et la tolérance dans notre région ?
Viché YATAHAD : Merci beaucoup de m’avoir invité à cette réunion de lancement, et sans vous mentir, cet observatoire est la bienvenue au moment où notre région connait trop de problèmes d’insécurité, parfois on fait l’amalgame entre religion et les groupes sociologiques. Au vu des exposés que j’ai eus, je sors ragaillardi de cette réunion parce que l’objectif final c’est d’amener la paix dans cette région et il faut que les gens aussi se tolèrent si on veut vraiment le développement. En tant qu’agent de terrain, la paix est la condition sine qua none de développement et puisque c’est la mission principale de l’observatoire, bravo à ceux qui ont eu cette initiative.
Nous avons appris que vous avez hébergé et nourri 400 jeunes gens qui ont abandonné les rangs de Boko Haram. Pouvez-vous nous confirmer une telle information ?
C’est exact, c’est même plus de 400 jeunes. Ils ont séjourné au moins pendant sept mois à la Commune. Ils ont abandonné les rangs de Boko Haram. Mais La difficulté est qu’ils ne se considèrent pas comme ex combattants, ils se considèrent comme des personnes qui ont été kidnappées. Ce sont des jeunes femmes, jeunes hommes et quelques rares personnes âgées c'est-à-dire des Hommes. Mais majoritairement les femmes et enfants. Il faut dire que les humanitaires sont également venus s’occuper d’eux en l’occurrence l’UNICEF, le PAM. Avant que ces humanitaires ne viennent, la commune s’est effectivement occupée de ces personnes en les nourrissant, en les soignant, en attendant la décision du pouvoir central. Et à la fin nous remercions le gouvernement parce que le Gouverneur de la région de l’Extrême-Nord était descendu sur place s’entretenir avec ces derniers au niveau de la Commune. Il leur avait dit qu’il ne devrait rien leur arriver et que tout est fait pour que les gens laissés derrière, surtout les maris reviennent, parce que c’était des instructions que le chef de l’Etat avait donné au gouverneur en Allemagne selon ses propos. Par la suite, ces gens sont effectivement restés à Zamaï. Ils sont bien encadrés, rien ne leur est arrivé et d’autres les ont rejoint par la suite, puisqu’actuellement ils sont plus de 1500 à Zamaï et non plus 400. Donc le message de Mr le Gouverneur est passé, la stratégie gouvernementale est bien puisqu’il y a des retours et de temps en temps la Commune appui la brigade qui les accompagne régulièrement à Zamaï.
Votre commune a subi des dégâts importants pendant la guerre de Boko Haram. Avez-vous un bilan succinct à dresser ?
Mairie de Mozogo
En l’absence des statistiques actualisées en ma possession, je peux affirmer qu’il y a eu une trentaine de villages attaqués par Boko Haram. Ce sont des localités situées le long de la frontière avec le Nigeria. Ces villages sont repartis sur les deux cantons de la Commune que sont Mozogo et Moskota. Il y a 03 centres de santé intégré fermés à savoir le CSI de Godavi, de Gousdavrekel et de Zeleved. Nous avons 18 écoles primaires fermées mais des efforts sont faits avec l’appui et la présence des militaires pour les ré-ouvrir dès l’année prochaine. Mais pour cette année, une école a été ouverte àTalkaché, ce qui fait donc 17 au lieu de 18. Mais pour l’année prochaine toutes ces écoles seront ré-ouvertes, y compris le CES DE Zeleved (Statistiques de l’Inspection d’Arrondissement de l’Education de Base de Mozogo). 08 marchés périodiques fermés et qui dit marché périodique c’est baisse de la recette des ressources propres. 3000 têtes de bétail enlevées par les Boko Haram, et une partie par d’autres grands bandits puisque c’est la jungle. Le soir quand les bœufs rentrent, ils menacent les bergers avec des fusils à bout portant et arrachent leur bétail. En termes de déplacés, c’est 37 341 déplacés pour 6204 ménages concernés. En termes de pourcentage, c’est 2/3 de la commune qui sont attaqués. Il s’agit de ceux-là qui ont quitté les localités le long de la frontière pour rentrer vers l’intérieur. Généralement, ils retournent dans les chefs-lieux de canton tels que Mozogo, Moskota, et dans les coins comme Guetchéwé. Ils vont aussi ailleurs, cela dépend de leurs relations familiales : Il y a d’autres qui sont à Koza, plus précisément à Gaboa, il y a certains qui sont à Mokolo, il ya ceux qui sont allés à Touboro. La difficulté c’est qu’au départ, les déplacés étaient soutenus seulement par les humanitaires. Entre temps, avec leur arrivée dans les familles ces organismes ont eu du mal à gérer une telle situation puisqu’il s’agit des relations familiales. Mais en Afrique un dicton dit que quand il y a un plat pour une personne il y en a pour cinquante. Les gens ont donc mangé le grenier de leurs hôtes ensemble et quand ce grenier s’est vidé, au lieu de s’occuper des personnes hôtes et des déplacés, les humanitaires se sont occupés uniquement des déplacés et maintenant les ménages-hôtes n’ont plus rien à manger et ont été donc contraints à se déplacer à leur tour du coté de Garoua, Maroua et koza.
Monsieur le Maire, il y a eu un texte du Président de la République créant les unités pour accueillir ces ex-combattants. Votre commune est-elle également concernée par ce texte ?
Bien sûr, puisque c’est un texte qui concerne toute la république donc cela nous concerne aussi. Mais ce texte est venu seulement renforcer ce que nous avions déjà commencé à travailler c’est -à-dire le programme d’insertion, de réconciliation et de désarmement.
Cela veut dire que dans votre commune il y avait déjà des pratiques de désarmement qui se faisaient ?
Bien sûr ! Quand ces gens-là viennent, eux même ils vont jeter leur fusil et les membres du comité de vigilance les ramassaient pour les rapporter aux éléments de force de sécurité ou à la brigade. Parce que pour eux, venir avec les armes c’est une preuve qu’ils sont des ex-combattants. C’est dire qu’ils se considèrent comme des ex-otages mais au vu des fusils jetés et consorts, les gens se connaissent individuellement au village. Donc le désarmement se faisait déjà parmi les 400 ex-combattants mentionnés plus haut et on ne peut pas combattre sans arme. Donc eux même ils se sont débarrassés de ces armes. Et maintenant que c’est officiel, ils peuvent venir avec leurs armes et rien ne leur arrivera.
Avez-vous eu des cas enregistrés depuis le texte présidentiel ?
Il faut vérifier ces informations au niveau des forces de défense et de sécurité. Moi je suis juste informé quand on veut les amener du côté de Zamaï. Puisqu’il y a un camp aménagé de ce côté. Et rien de plus puisque le maire n’est pas directement concerné par la sécurité du pays.
Monsieur le Maire, est-ce qu’il vous arrive d’avoir peur pour votre sécurité ?
Oui c’est normal ! Puisque j’ai même dans mon téléphone des messages de menace disant qu’il devait me prendre en otage et que là où j’habite n’est pas un camp militaire. J’ai dû voir Mr le Préfet qui est la tutelle. Je lui ai montré le message de menace. Il m’a donc autorisé à quitter Koza pour m’installer à Mokolo Centre puisqu’il ne fallait pas prendre ce message à la légère. C’était durant les années 2015 et 2016. Quand je partais donc au bureau, j’empruntais des routes différentes lors de mes mouvements et 15 heures ne me trouvais jamais au bureau. Mais maintenant ça va mieux, je ne me sens plus menacé puisqu’il ya de l’accalmie et ces gens ont reculé très loin. Mais ce qui me dérange encore c’est que je viens d’apprendre que ce 12 janvier 2019, il ya eu une attaque du côté de Zeleved, là où le Gouverneur est allé consoler les familles victimes d’attaques en leur remettant le don du chef de l’Etat et cette localité est attaquée aujourd’hui. Cela veut dire que l’accalmie qu’on voudrait qui se transforme en paix définitive est en train d’être remise en cause. C’est donc là mon inquiétude mais par rapport à ma personne, je ne me sens pas menacé.
Avez-vous des souhaits pour les populations de votre commune ? Si oui, lesquels ?
Que ces populations soient en paix, que ces populations retrouvent leur village natal parce que quand ils sont déplacés, même dans d’autres cadres d’atelier avec le PNUD, on a toujours demandé qu’il y ait réconciliation et pardon entre les ex-combattants et les populations hôtes. Moi j’ai eu l’habitude de le dire, les populations hôtes sont également des déplacés. Personne n’est sur son territoire natal. Il est déplacé, tu lui demandes de pardonner à celui qui l’a chassé ou qui a tué son frère, son ami, son père. La condition pour que les gens se pardonnent est que la paix revienne et que chacun rentre dans son village natal. A ce temps-là, on retrouve tout le sens de la vie, du cosmos naturel et maintenant il y a de la paix à l’intérieur et la paix des cœurs. Là, les conditions de pardon sont créées. Mais quand quelqu’un n’est pas sur son terrain, je vous raconte une petite histoire : il y a une ONG qui devait construire les latrines en dur aux déplacés à Moskota. Mais les gens qui ont accepté que leurs frères déplacés y vivent là ont refusé qu’on le fasse en dur puisque cela signifiait rester définitivement. Cela s’apparentait à l’expropriation.
Mouvement incessant des déplacés internes
Donc il faut que les gens rentrent chez eux, dans leur village avant de parler. Moi j’ai toujours été un peu réticent puisque c’est difficile de les réunir. Parce qu’au moment où les ex- otages et combattants étaient au niveau de la Commune, avec toute l’assistance humanitaire, ces enfants déplacés étaient bien pris en charge et alors les populations hôtes disaient qu’ils iront les rejoindre afin de bénéficier également des mêmes faveurs. Ce phénomène a attiré une certaine jalousie. Donc vous voyez que si chacun rentre chez soi, dans son village, là ce programme de réconciliationet de pardon peut se mettre en place. Mais si entre-temps ceux qui sont chassés n’habitent pas chez eux, il faut qu’ils commencent à pardonner alors qu’ils sont encore en souffrance, je trouve que c’est une équation difficile à résoudre. Je souhaite donc que la population soit vigilante, qu’elle travaille avec les comités de vigilance et avec les forces de défense et de sécurité. Il ne faut pas que cette accalmie amène les gens à dormir. J’invite la population à rester éveillée et à collaborer avec les autorités administratives, les forces de défense et de sécurité en donnant les informations de manière quasi instantanée, si non l’intervention ne sera pas efficace. Donc c’est mon souhait de voir la paix s’installer dans ma commune parce que vous savez vous pouvez travailler mais sans paix c’est difficile. On construit les salles de classe et ils (Boko Haram) les brûlent, c’est un éternel recommencement et imaginez-vous un agent de développement comme moi qui construit des routes et que lorsque je quitte la Commune je ne vois pas de traces. Donc c’est insupportable parce que pour que la Commune soit construite, il faut que les équipements, les infrastructures que nous mettons en place durent et soient maintenues. Si on construit et on détruit est-ce que l’émergence à l’horizon 2035 ne sera-t-elle pas hypothéquée ? C’est la question que je me pose. Il faut également que la population surveille ses déplacements parce que quand il pleut, les zones frontalières avec le Nigeria sont très dangereuses mais les gens vous diront qu’à cause des champs ils s’y rendent. Surtout cette année les membres de Boko haram ont égorgé des personnes à Baljouer, alors que c’est un village qui avait été complètement rasé. Maintenant les populations recommencent à fréquenter cette zone et on les tue comme des crapauds. J’avais tenu une réunion de sensibilisation pour leur demander de ne pas amener les animaux de ce côté bien qu’il y ait assez de pâturage. Il est prudent de les sécuriser mais les gens préfèrent jouer avec du feu et je leur ai dit que le fait d’amener les animaux vers ce secteur où il y a insécurité est une manière de narguer ces combattants de Boko Haram et cela peut être vexatoire. Chacun doit être son propre gendarme en y associant de la prière. Mais lorsque vous partez cultiver dans les zones infestées par Boko Haram, ils vont récupérer tous les produits issus de ces champs et il faut également rappeler que ces derniers cultivent les oignons. Vous voyez que tous ceux qui ont traversé la frontière se sont fait avoir. On a assisté à des tueries et aux confiscations des récoltes de ceux qui se sont entêtés. Donc il y’a également des conflits fonciers qui sévissent et le message de sensibilisation reste celui de ne pas aller aux delà de nos frontières mais cela reste extrêmement difficile. S’il faut me résumer, que la population surveille ses mouvements, que les comités de vigilance fassent leur travail de renseignement et que la population collabore avec les autorités administratives, traditionnelles et avec les forces de défense et de sécurité. L’Etat est dans l’impossibilité de mettre un gendarme pour chaque citoyen même si la guerre de sécession dans les deux régions anglophones a compliqué la tâche parce qu’avant il y avait assez de militaire par ici. Même s’ils sont là, on se rend compte que la priorité est de ce côté-là. Donc ça veut dire que nous devons être vigilants à tout moment. Vigilance, vigilance et vigilance.
Merci Monsieur le Maire !
C’est moi qui vous remercie de m’avoir donné l’occasion de parler de ma commune qui me tient tant à cœur. Je reste disponible.
Propos recueillis par David Bayang et transcris par Jean Kowé.
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commentaire (1)

Bonjour. Je suis vraiment ravi de cette inspiration. En ma qualité d'ingénieur de conception en sciences sociales résidant dans le mayo tsanaga. Je voulais aussi contribuer, partager mes connaissances de terrain avec vous. Cordialement